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Comment l’Homme appréhende-t-il le temps ?

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La fuite du temps dans la littérature


Dans la première partie du semestre, nous avons étudié différentes façons de mesurer le temps à travers les siècles. Dans la deuxième partie, nous nous sommes intéressés au thème de la fuite du temps dans la littérature. En effet, depuis toujours, l’homme s’interroge sur la fuite du temps, la perte de la jeunesse, l’approche de la mort, cherchant désespérément à ralentir cette course ou à retrouver les moments passés. Ainsi, plusieurs formules exprimant ces idées remontent  l’Antiquité et sont utilisées à travers les siècles – sous une forme ou une autre – dans la littérature, la poésie et l’art.

Les quatre formules que nous avons vues sont Memento mori, Temps fugit, Carpe diem et Vanitas vanitatum. L’expression Memento mori signifie « Souviens-toi que tu vas mourir ». Cette expression s’utilise depuis de nombreux siècles pour désigner un style artistique où toute création artistique naît avec l’objectif de rappeler à l’humain sa mortalité. Son origine remonte à l’Antiquité gréco-romaine, quand un esclave se tenait aux côtés d’un général victorieux lors de son triomphe afin de lui rappeler sa condition mortelle. Elle a ensuite été reprise par le christianisme médiéval dans un but moralisateur.
L’expression Tempus fugit remonte aux Géorgiques du poète romain Virgile : « Sed fugit interea, fugit irreparabile tempus, singula dum capti circumvectamur amore » ce qui signifie : « Mais en attendant, il fuit : le temps fuit sans retour, tandis que nous errons, prisonniers de notre amour du détail. » On retrouve « Tempus fugit » souvent en inscription sur les horloges.
Carpe Diem signifie « cueille le jour », ce qui veut dire qu’il faut profiter de chaque instant qu’on a. Cette formule vient du philosophe romain Horace (Ier siècle av. J.-Chr.) et correspond à une conception épicurienne de la vie.
Enfin, Vanitas vanitatum provient de l’Ecclesiaste de l’Ancien Testament (« Vanitas vanitatum et omnia vanitas » qui littéralement signifie « Vanité des vanités et tout est vanité »). Le mot vient du latin et signifie : état de vide, de non-réalité ; vaine apparence, mensonge. C’est ainsi que la vanité est devenue un terme désignant, dans le domaine pictural, une catégorie de nature morte symbolique qui vise à suggérer la futilité des plaisirs de l’homme et à lui rappeler sa finitude.
Ces thèmes ont été repris au cours des siècles dans de nombreuses œuvres. Au cours des dernières semaines, nous avons analysé plusieurs poèmes du Moyen âge au XIXe siècle ainsi qu’un fameux extrait en prose du XXe siècle qui traitent la fuite du temps, le souvenir, la vanité, la mort.
Commençons par la Ballade des pendus de François Villon (Moyen âge). C’est une ballade de type Memento mori à travers le rapprochement dans un texte du monde des morts et de celui des vivants. Les pendus s’adressent aux vivants dès le premier vers : « Frères humains qui après nous vivez ». Ce poème nous dit également que la vie après la mort a plus d’importance que celle d’avant et que nos actions influenceront la première.
Les morts font appel à la charité chrétienne et à la compassion pour tous les hommes. Ils implorent les suffrages des vivants afin d’avoir la rédemption : « Excusez-nous, puisque nous sommes transis, / Envers le fils de la Vierge Marie, / Que sa grâce ne soit pour nous tarie, / Nous préservant de l’infernale foudre » (…) « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ».
Un autre poème traitant la fuite du temps, mais sous un autre angle, est Quand vous serez bien vielle de Pierre de Ronsard (Renaissance). Dans ce poème, Ronsard fait une projection dans un futur où Hélène – sa muse, la femme convoitée – est vieille, ridée et pleine de regrets pour la convaincre de profiter de l’instant présent en sa compagnie, lui, qui est si connu et talentueux. De plus, Ronsard, grâce à la poésie, peut rendre immortels à la fois Hélène et lui-même en les faisant passer à la postérité. On y retrouve clairement l’invitation au Carpe diem au dernier vers lorsque Ronsard s’adresse à Hélène par les mots « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». La rose symbolise évidemment la jeunesse et la beauté qui passent vite. Tout comme une rose qui fane rapidement, Hélène deviendra rapidement laide (« une vieille accroupie ») et indésirable.

Puis, au XVIIe siècle, on retrouve un poème qui, comme la Ballade des pendus, nous invite à croire en Dieu. Il s’agit du sonnet apologétique Un corps mangé de vers de Jean-Baptiste Chassignet. Le message principal de ce poème est qu’il faut relativiser la vie terrestre qui se termine avec la mort et la putréfaction. C’est clairement un poème de type Memento mori, car il décrit avec vivacité (selon le procédé de l’hypotypose) et sollicitant tous les sens ce qui se passe avec un corps en décomposition. Dès le premier vers, l’apostrophe « Mortel » rappelle au lecteur sa condition de mortel. Ce dernier est invité à s’imaginer un corps en décomposition. Le poème est fortement moralisateur. En effet, il nous dit que celui qui n’a pas mis son espoir en Dieu est voué au néant. Chassignet veut donc convaincre le lecteur à se convertir au christianisme en lui rappelant la vanité de son existence comme le montre le dernier tercet : « Puis connaissant l’état de ta fragilité / Fonde en Dieu seulement, estimant vanité / Tout ce qui ne te rend plus savant et plus sage. » – faisant référence au Vanitas vanitatum de l’Ecclésiaste.
Passons désormais au fleuron du Romantisme : Le Lac d’Alphonse de Lamartine. Ce poème parle de la solitude et de la mélancolie que le poète ressent lorsqu’il retourne près du lac du Bourget sans sa bien-aimée, Julie, morte peu avant. Le thème de la fuite inexorable du temps est omniprésent dans le poème, exprimé surtout à travers la métaphore filée de l’eau (v.3-4 « Ne pourrons-nous jamais sur les océans des âges / Jeter l’ancre un seul jour ? »)  et le champ lexical du temps. Le temps passe et nous sommes incapables d’arrêter sa course ou de retenir les moments de bonheur, comme l’expriment les fameux vers : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! /
Suspendez votre cours », tout comme : « Mais je demande en vain quelques moments encore / Le temps m’échappe et fuit ; / Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore / Va dissiper la nuit. »
Le poème parle du temps qui nous donne des moments de bonheur mais qui les efface tout aussi vite. On pourrait y voir peut-être même l’idée du Carpe diem, étant donné qu’il nous rappelle implicitement la nécessité de savourer le plus possible ces moments de bonheur qui ne reviendront jamais.

« Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ! »

Enfin, seule la nature, le paysage, est capable de conserver le souvenir des beaux moments passés entre les deux amants.

Passons maintenant au milieu du XIXe siècle, avec le poème L’horloge de Charles Baudelaire. Dans ce poème, le temps est représenté comme l’ennemi tout-puissant de l’Homme, ravageur et destructeur, face auquel l’homme est impuissant. Vu que le temps passe si vite (Tempus fugit), l’Homme doit profiter de chaque instant (au lieu d’être « folâtre » et «prodigue») avant d’être abattu par le temps. Cette interprétation du Carpe diem peut être trouvée dans les vers 15-16 : « Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !» ; celle de la fuite du temps est omniprésente tout au long du poème (« Chaque instant de dévore un morceau du délice / À chaque homme accordé pour toute sa saison » ; « la clepsydre se vide »), mais aussi dans une certaine mesure le Memento mori : « Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor ! » ; « Tantôt sonnera l’heure (…) / Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

Dans le texte « Enivrez-vous », Baudelaire propose une échappatoire au fardeau du temps qui fuit : il faut toujours être ivre, non seulement de vin, mais aussi de poésie, de vertu :
« Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. »

Enfin, on ne peut pas parler du thème du temps dans la littérature sans aborder la madeleine de Marcel Proust, le plus fameux extrait de son œuvre À la recherche du temps perdu (début du XXe siècle). L’histoire se déroule chez lui avec sa mère. Sa mère lui a préparé du thé et une madeleine. Quand il met en bouche un morceau de madeleine après l’avoir trempée dans le thé, une puissante joie lui vient. Mais cette joie ne vient pas simplement de cette madeleine, mais des réminiscences de son enfance à Combray où il mangeait souvent une madeleine trempée dans du thé. À partir de ce souvenir (qualifié plus tard de « mémoire affective » ou « involontaire ») d’autres souvenirs lui reviennent – et tout cela grâce à l’odeur et à la saveur qui ont permis de faire apparaître « l’immense édifice du souvenir » à partir de sa tasse de thé.

Au cours des siècles, les thèmes de la fuite du temps, des souvenirs, de la jeunesse et de la beauté qui disparaissent, de la mort qui nous attend ont donc été abordés de beaucoup de manières, parfois avec un réalisme exacerbé (souvent dans un but moralisateur), parfois avec nostalgie et lyrisme. Dans tous les cas, ils ont permis de rendre immortels leurs auteurs respectifs. Nous aurions aimé nous pencher également sur le thème du temps dans l’art, mais hélas…par manque de temps, cela ne nous a pas été possible.