Le terme vient du latin : e-ducere, ex ducere, conduire hors de. Hors de quoi ? Conduire hors de quoi ? Hors de lâenfance, vers lâĂąge adulte, vers la maturitĂ©, la participation, lâinfluence ? En effet, lâenfant veut avoir son mot Ă dire, trĂšs tĂŽt et avec force. Encore faut-il ne pas laisser parler et agir lâenfant dans le vide. Pour se dĂ©velopper, lâenfant a besoin de rĂ©sistance. Pour gagner en influence, lâenfant doit pouvoir se mesurer. A quoi et Ă qui ? Toutes les idĂ©es qui sortent de la bouche des enfants ne sont pas bonnes. Il serait absurde de les adopter toutes sous prĂ©texte quâil faille respecter la parole de lâenfant. Ce serait lui manquer de respect, car cela ne lui permettrait pas de grandir, et malhonnĂȘte de surcroĂźt. Se mesurer Ă quoi et Ă qui ? A ce quâil nâa pas encore et Ă ce quâil nâest pas encore. Si lâenfant nâa pas encore les arguments, il faut lui opposer des .. arguments. Sâil nâa pas encore les connaissances, il faut lui opposer des connaissances. Sâil nâa pas encore lâexpĂ©rience, il faut lui opposer de lâexpĂ©rience. Non pas pour le rendre petit, mais pour le rendre grand. Est-ce que pour autant pour Ă©duquer un enfant il suffit de lui donner un exemple fort, un maĂźtre savant, une autoritĂ© ? Lâhistoire de lâĂ©cole a montrĂ© que tel nâest pas forcĂ©ment le cas. Mais lâhistoire moderne nâest-elle pas en train de montrer que le contraire ne fait pas mieux ? Il faut Ă©viter que lâĂ©cole tombe dâun extrĂȘme dans lâautre. Entre opposer Ă lâenfant une autoritĂ© toute savante et toute puissante, dâune part, et le placer sur un piĂ©destal et se plier Ă sa parole sous quelque prĂ©texte pĂ©dagogique ou dĂ©mocratique, dâautre part, il doit y avoir un juste milieu. La plus simple maniĂšre dâĂ©-lever un enfant consiste peut-ĂȘtre Ă ne pas le traiter spĂ©cialement comme un enfant, Ă oublier sciemment quâil ne peut en principe dĂ©jĂ avoir toute la maturitĂ©, la connaissance, lâexpĂ©rience, peut-ĂȘtre aussi lâironie, quâon lui suppose pourtant dĂ©libĂ©rĂ©ment dans lâĂ©change. Il sâaccomplit alors souvent une sorte de self-fulfilling prophecy dans le sens oĂč lâenfant met Ă jour spontanĂ©ment des capacitĂ©s surprenantes simplement parce quâon Ă©change avec lui comme sâil avait prĂ©cisĂ©ment toutes ces compĂ©tences. E-duquer un enfant revient finalement Ă exiger de lui la mĂȘme qualitĂ© dans le travail et dans lâĂ©change quâon veut bien y investir soi-mĂȘme. Comme souvent, les extrĂȘmes se rejoignent. Laisser toute la place ne vaut pas mieux que prendre toute la place. Les deux cas de figure isolent lâenfant. Il est dans la nature de lâenfant de chercher sa place mais il nâa que faire dâune place dont il constitue le centre. Si toute la place est prise, il est isolĂ©. Sâil occupe, lui, toute la place, il nâest pas moins isolĂ©. Dans le premier cas, on lâĂ©carte, dans le deuxiĂšme, on sâĂ©carte. La nĂ©cessitĂ© est le meilleur Ă©-ducateur. La nĂ©cessitĂ© que peut installer lâĂ©cole consiste Ă attendre dĂšs le dĂ©but de la part des enfants la qualitĂ© dont on voudrait bien quâils soient capables Ă la fin. Il faut pour cela que lâĂ©cole soit une place de qualitĂ©, un bain de culture oĂč les enfants apprennent Ă nager par le simple fait que telle est lâexigence, ou, mieux encore, la normalitĂ©.