Il y a des signes qui ne trompent pas. Au lycĂ©e Ermesinde, les Ă©lĂšves Ă©voluent dans le calme. Câest ce que tous les visiteurs nous font observer. Voyant nos Ă©lĂšves dans les maisons, dans les entreprises, au restaurant, au cafĂ©, au jardin, ils parlent dâ« Ă©lĂ©gance » et de « fluiditĂ© », impressionnĂ©s par le naturel et le relĂąchement avec lesquels les Ă©lĂšves vaquent Ă leurs occupations y compris aux plus exigeantes et contraignantes. Nous nous fĂ©licitons bien sĂ»r de ces observations. En mĂȘme temps, cela nous rappelle que nous jouissons sans doute au lycĂ©e Ermesinde de conditions privilĂ©giĂ©es. Celles-ci se laissent expliquer ou bien par la supposition que tous nos Ă©lĂšves viennent de milieux avantageux ou bien par une façon de procĂ©der fondamentalement diffĂ©rente des autres Ă©coles. Vu que nous demandons des lettres de motivation et que nous menons des entretiens dâadmission, on ne peut Ă©carter entiĂšrement la premiĂšre hypothĂšse. Il est en effet probable que la plupart de nos Ă©lĂšves viennent de familles sensibles Ă une Ă©ducation de qualitĂ© et soucieuses dâune orientation efficace et rĂ©aliste. Pourtant, cela ne suffit certainement pas Ă expliquer la sĂ©rĂ©nitĂ© et lâengagement affichĂ©s durablement par nos Ă©lĂšves y compris par les plus jeunes. Nous attribuons ces conditions favorables Ă ce que nous demandons Ă nos Ă©lĂšves. Nous leur demandons quâils donnent le meilleur dâeux-mĂȘmes lĂ oĂč ils ont le plus de facilitĂ©, le plus dâintĂ©rĂȘt, le plus de potentiel et le plus dâambition et quâils fournissent une vraie plus-value au profit de la communautĂ© et de son entourage. Câest la diffĂ©rence qui nous distingue fondamentalement et dĂ©cisivement des Ă©coles conventionnelles. Quand nous entendons parler de lâĂ©tat dâindiscipline qui peut exister dans dâautres Ă©coles, nous sommes tristes. Quand nous entendons parler de cet Ă©tat comme Ă©tant quelque chose de normal et dâinĂ©vitable, nous sommes rĂ©voltĂ©s.
Lâindiscipline dans une Ă©cole nâa rien de normal et ne doit pas ĂȘtre banalisĂ©e. Elle est la preuve que les enfants nâaiment pas y aller, ce qui doit Ă©videmment ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant tout Ă fait aberrant et insupportable. Or le remĂšde nâest pas Ă chercher bien loin. Si les enfants nâaiment pas aller Ă lâĂ©cole, câest que lâĂ©cole ne fait pas sens pour eux, quâils nâen voient pas lâutilitĂ©. Or comment lâenfant pourraitâil trouver utile de rĂ©pondre Ă longueur de journĂ©e Ă des questions dont celui qui les pose connaĂźt toujours la rĂ©ponse ? Il pourrait y trouver tout au plus quelque utilitĂ© personnelle pour sa vie ultĂ©rieure, mais aucune pour autrui. Or Ă quoi dâautre les jeunes humains pourraient-ils aspirer davantage quâĂ ĂȘtre utiles Ă autrui ? Cette aspiration nâappartient-elle pas aux dĂ©sirs les plus naturels et les plus nĂ©cessaires, indispensables Ă la vie bienheureuse, pour le dire dans les termes dâĂpicure ? LâexpĂ©rience du lycĂ©e Ermesinde semble bel et bien prouver quâil faut et quâil suffit de demander aux jeunes gens un service Ă autrui digne de ce nom pour que cette tĂąche les occupe entiĂšrement, suffisamment en tout cas pour quâil ne leur vienne pas Ă lâesprit de se montrer indisciplinĂ©s ou saboteurs. Ce serait en effet leur propre travail quâils saboteraient !
Si vraiment lâindiscipline va en sâaggravant dans les Ă©coles, il ne faudrait plus se voiler la face. Il faudrait y voir le symptĂŽme dâune demande inappropriĂ©e Ă lâĂ©gard des jeunes gens, concentrĂ©e sur la reproduction. Or il est naturel et Ă©vident que les jeunes gens, plutĂŽt quâĂ reproduire, aspirent Ă produire, plutĂŽt quâĂ ĂȘtre servis, aspirent Ă servir. Il est temps de procĂ©der Ă ce retournement de logique Ă grande Ă©chelle, afin de rendre lâĂ©cole plus agrĂ©able, plus enviable et plus efficace. Ni les Ă©lĂšves ni leurs familles ni le personnel ni la sociĂ©tĂ© ne devraient tolĂ©rer des Ă©coles indisciplinĂ©es. Lâobligation scolaire nâest pas de nature Ă exclure la volontĂ© et le bonheur dâĂ©tendre et de partager ses connaissances et ses expĂ©riences, tout au contraire. Que tous les enfants soient forcĂ©s tous les jours de se rĂ©unir avec des adultes dĂ©sireux comme eux dâĆuvrer pour le bonheur et pour lâenrichissement personnels et collectifs, doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un progrĂšs et un bienfait majeur. La condition en est que lâon considĂšre lâĂ©cole comme une instance de production, de diversification et de multiplication de richesses et surtout pas comme un moyen de soumission et de sĂ©lection. Cela fait maintenant vingt ans que le lycĂ©e Ermesinde a fait son choix et a fait ses preuves. Il faut maintenant sur le plan sociĂ©tal choisir entre la facilitĂ© et lâefficacitĂ©, dâune part, et le forçage et lâindiscipline, dâautre part. La premiĂšre option pourra se rĂ©aliser avec des moyens raisonnables, la deuxiĂšme mĂšnera Ă un gouffre financier, Ă©conomique, social et intellectuel.