Lycée Ermesinde

Lycée public autonome à plein temps

StÀerkte viru SchwÀchten

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Pourquoi Ermesinde?

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 

Pourquoi Ermesinde ?
(article publié en 2011)
La crĂ©ation du lycĂ©epilote, nommĂ© dans un premier temps « Neie LycĂ©e », remonte Ă  l’an
2005. Un nom ne lui avait pas Ă©tĂ© assignĂ© au dĂ©part. Il avait plutĂŽt Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© d’attendre qu’un
nom se dégage au fil du temps à travers diverses expériences et considérations, internes et
externes. A prĂ©sent que le lycĂ©e s’apprĂȘte Ă  emmĂ©nager dans ses installations dĂ©finitives
situées à Mersch, le moment est venu de lui attribuer un nom officiel.
Le lycĂ©e n’a cessĂ© d’attirer des Ă©lĂšves et des parents en provenance de toutes les rĂ©gions du
pays. C’est pourquoi un nom d’envergure nationale a Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ© Ă  un nom d’ordre local.
L’intĂ©rĂȘt pour les concepts pĂ©dagogiques du lycĂ©e dĂ©passe les frontiĂšres de notre pays. Le
lycée accueille souvent des stagiaires français et allemands et son conseil scientifique se
compose de professeurs d’universitĂ© venant de plusieurs pays d’Europe. De plus, le lycĂ©e
mise beaucoup sur le multilinguisme caractĂ©ristique de notre sociĂ©tĂ©, en instaurant dĂšs l’ñge
de douze ans une pratique étendue des langues étrangÚres. Autant de raisons pour lesquelles
un nom a Ă©tĂ© recherchĂ© tenant de la culture et de l’histoire allemandes et françaises, et
pouvant se prĂ©valoir de surcroĂźt d’une dimension europĂ©enne.
En raison des travaux de recherche qui leur sont demandés, les élÚves du lycéepilote ont
l’expĂ©rience des connaissances historiques qui Ă©mergent continuellement dans toutes les
branches, contribuant à une culture générale étendue. Nombre de ces connaissances ont
disparu ces derniÚres années des programmes nationaux et européens. Les exigences du lycée
en matiÚre de recherche et de présentation ont le mérite de rehausser le caractÚre
interdisciplinaire de l’histoire et son rĂŽle primordial dans l’acquisition d’une culture gĂ©nĂ©rale
et critique. C’est pourquoi l’idĂ©e est venue de choisir un personnage historique dont la vie et
l’époque sont particuliĂšrement riches et importantes Ă  connaĂźtre.
Dans la suite, ces aspects seront dĂ©veloppĂ©s et d’autres y seront rajoutĂ©s, faisant apparaĂźtre
que le nom de la comtesse Ermesinde sied d’une façon toute particuliĂšre Ă  une Ă©cole connue
d’ores et dĂ©jĂ  pour ses bons rĂ©sultats en matiĂšre d’orientation et de culture gĂ©nĂ©rale, pour la
qualité de son encadrement, mais aussi pour son fonctionnement original et pour sa recherche
de cohésion sociale à travers la diversité de ses activités.
Il est utile de considĂ©rer l’ « histoire » d’Ermesinde au niveau de son histoire personnelle, de
sa vie mouvementĂ©e, marquĂ©e par des enjeux culturels et politiques d’une grande variĂ©tĂ©,

 

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mais aussi et surtout au niveau des valeurs et des qualités qui ont été rattachées à sa personne
et à ses actions au fil des siùcles et des relectures successives de l’histoire de notre pays.
Ermesinde compte parmi les trois personnages les plus populaires de l’histoire
luxembourgeoise, Ă  cĂŽtĂ© de Sigefroid et de Jean l’Aveugle. Elle est connue pour avoir Ă©tĂ© Ă 
l’origine de l’entitĂ© territoriale luxembourgeoise ayant persistĂ© durant six siĂšcles jusqu’à la
Révolution belge de 1830.
Pourtant, tout avait mal commencĂ©. A la mort de son pĂšre, Henri IV de Namur dit l’Aveugle,
en 1196, la petite Ermesinde, ùgée de dix ans, se retrouvait pratiquement sans terres. Namur
était passé à la maison de Hainaut, alors que les comtés de Luxembourg, Laroche et Durbuy
avaient finalement Ă©tĂ© attribuĂ©s Ă  Otton de Bourgogne, frĂšre de l’empereur germanique Henri
VI (luimĂȘme fils et successeur de FrĂ©dĂ©ric Barberousse). Cinquante ans plus tard, Ă  sa propre
mort, en 1247, son fils Henri V de Luxembourg dit le Blond, hérita non seulement des comtés
de Luxembourg, Laroche et Durbuy, mais aussi du marquisat d’Arlon, reliant Luxembourg à
Laroche. C’est la raison pour laquelle Ermesinde a pu ĂȘtre qualifiĂ©e de « fondatrice du pays de
Luxembourg » 1 ou de « deuxiÚme fondatrice du pays » aprÚs Sigefroid. 2 La question de savoir
si Ermesinde mérite bien cette dénomination a été posée sans complexe ces derniÚres
décennies (e.a. par Michel Pauly, Paul et Michel Margue, Pit Péporté), tant il est clair que la
reconquĂȘte territoriale Ă©tait avant tout l’oeuvre de ses deux Ă©poux, ThiĂ©baut de Bar et WalĂ©ran
de Limbourg, qu’elle Ă©pousa en 1198 respectivement en 1214, mĂȘme si, aprĂšs la mort de
WalĂ©ran en 1226, elle ne se remaria plus et finit par exercer ellemĂȘme le pouvoir aux cĂŽtĂ©s
de son fils Henri V à partir de 1235, dùs que celuici fut majeur jusqu’à sa mort.
Petit relevé historiographique
Jusque dans les années soixante, on tenait à attribuer à Ermesinde seule la refondation de
notre pays. Dans les annĂ©es 1930, Ă  l’occasion entre autres de la commĂ©moration de
l’affranchissement de la ville d’Echternach (1936) et de l’indĂ©pendance nationale (1939), elle
apparut comme une des figures les plus importantes au « Panthéon national » (Michel Pauly)
et fut comparée à la grande dame de ces temps difficiles, la GrandeDuchesse Charlotte.
C’est un enjeu primordial de l’historiographie : dĂ©couvrir les associations et les pondĂ©rations
qui ont Ă©tĂ© faites Ă  d’autres Ă©poques avec comprĂ©hension et humilitĂ©. « A se familiariser avec
d’autres temps, d’autres Ă©poques, d’autres civilisations, on prend l’habitude de se mĂ©fier des
1 CamilleJ. Joset S.J., Ermesinde Fondatrice du Pays de Luxembourg, Les Amis de Clairefontaine, Arlon, 1947
2 P. Jos. Adam, Ermesinde, GrÀfin von Luxemburg, Heimat und Mission 1/2 1997, p. 3

 
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critĂšres de son temps : ils Ă©volueront comme d’autres ont Ă©voluĂ©. » dit RĂ©gine Pernoud, la
fameuse médiéviste à qui revient le mérite, avec e.a. Marc Bloch, Jacques Le Goff, Fernand
Braudel, Jacques Heers, d’avoir renouvelĂ© notre regard sur le Moyen Âge et donc sur notre
monde d’aujourd’hui. C’est aussi Ă  ce titre que le nom d’Ermesinde convient bien Ă  une Ă©cole,
dans le sens oĂč il s’agit d’apprendre aux jeunes de considĂ©rer qu’en tout temps, aujourd’hui
pas moins qu’autrefois, les hommes ont besoin de se rĂ©conforter et de se solidariser en se
rassemblant autour de références communes.
La Renaissance s’est davantage intĂ©ressĂ©e Ă  l’AntiquitĂ© qu’au Moyen Âge, de sorte que chez
l’abbĂ© Bertels par exemple, Ermesinde n’apparaĂźt que trĂšs peu sinon par rapport aux
circonstances remarquables, pour ne pas dire miraculeuses, de sa naissance. LĂ  encore, il est
intĂ©ressant de remarquer que l’Histoire est finalement faite d’histoires. 3 « L’histoire ressemble
parfois Ă  un roman. » s’exclame Joset en 1947. Le petit livre de Michel Georis, Ă©galement de
1947 – annĂ©e du 700 e anniversaire de la mort d’Ermesinde – en fournit un autre exemple
frappant. Son contenu et son style peuvent nous sembler par moments fort éloignés, mais sans
doute les gĂ©nĂ©rations futures en diront autant de nos productions d’aujourd’hui.
3 D’histoires tissĂ©es par les historiographes en fonction des signes politiques d’une Ă©poque mais aussi de
lĂ©gendes ou de « petites histoires » plus ou moins vĂ©ridiques. Dans le cas d’Ermesinde, les premiĂšres abondent,
comme le montre de façon condensĂ©e l’article de Pit PĂ©portĂ© dans les Lieux de mĂ©moire du Luxembourg (Edition
SaintPaul, 2007, p. 6166) parlant d’un « rattachement progressif d’Ermesinde au culte de NotreDame de
Luxembourg ainsi qu’à la GrandeDuchesse Charlotte » (pour une analyse dĂ©taillĂ©e, se rapporter au chapitre
« Ermesinde : The connecting link », de Pit Péporté, dans un livre à paraßtre ; voir www.brill.nl/constructing
middleages). Pour ce qui est des secondes, il est vrai que hélas « aucune chronique ne nous a révélé les
anecdotes qui émailleraient une biographie. » et que seulement des « actes juridiques, trÚs secs » nous sont
parvenus (CamilleJean Joset, Ermesinde, Les Amis de Clairefontaine, 1947, p. 79). Cela n’a pourtant pas
empĂȘchĂ© le dĂ©veloppement, au cours des siĂšcles, d’un « halo de lĂ©gende », partant de la naissance miraculeuse,
passant par la lĂ©gende de la fondation de l’abbaye de Clairefontaine, allant jusqu’à un genre de saintetĂ©
(ibid. p. 76). Une des plus pittoresques est sans doute la légende numéro 106 des 371 Luxemburger Sagen und
Legenden recueillies et publiées par Edmond de la Fontaine en 1882 (rééditées en 1989 par les Editions Emile
Borschette). Dicks y raconte qu’Agnùs de Gueldre, troisiùme femme du pùre d’Ermesinde Henri IV l’Aveugle
que celuici avait repris, supposĂ©ment pour raisons politiques, treize ans aprĂšs l’avoir rĂ©pudiĂ©e quatre ans aprĂšs
leur mariage de 1168, afin d’avoir encore une descendance directe malgrĂ© son Ăąge avancĂ© de 72 ans (90 d’aprĂšs
Dicks) – ne serait pas la mĂšre d’Ermesinde. Au lieu d’elle, nulle autre que MĂ©lusine aurait partagĂ© la couche de
Henri l’Aveugle (qui, comme le prĂ©cise Dicks, portait ce nom Ă  cause de sa bravoure, « weil er in allen Gefahren
blind zu sein schien »), aprĂšs l’avoir rajeuni, et aurait enfantĂ© Ermesinde dans le seul dessein de sa propre
libération (ayant été engloutie par le rocher du Bock aprÚs que Sigefroid eût découvert sa vraie nature). Cette
derniĂšre n’adviendrait en effet qu’à condition qu’elle donnĂąt naissance Ă  dix princes accĂ©dant au trĂŽne de
Luxembourg.
 
4
ConformĂ©ment Ă  l’idĂ©al du bon souverain absolu encore en vigueur au 18 e siĂšcle, Jean
Bertholet, prĂȘtre jĂ©suite et historien, dĂ©peignit Ermesinde comme une figure maternelle,
raisonnable et entiĂšrement dĂ©vouĂ©e Ă  son peuple, Ă  l’instar de l’impĂ©ratrice MarieThĂ©rĂšse,
alors rĂ©gente du duchĂ© de Luxembourg. Alors mĂȘme que Bertholet fut dĂ©jĂ  critiquĂ© de son
vivant pour ses vues historiques biaisĂ©es, l’image qu’il donna d’Ermesinde persiste en
quelque sorte jusqu’à nos jours.
Les historiens ont pourtant bien montrĂ© entretemps que les suzerains de l’ordre fĂ©odal
n’avaient pas grandchose Ă  voir avec les souverains de l’Ancien RĂ©gime et encore moins
avec les Etatsnations que nous connaissons aujourd’hui. RĂ©gine Pernoud l’affirme
clairement : 4 « L’ordre fĂ©odal est trĂšs diffĂ©rent de l’ordre monastique qui l’a remplacĂ© et
auquel a succĂ©dĂ©, sous une forme plus centralisĂ©e encore, l’ordre Ă©tatique qui est actuellement
celui des diverses nations europĂ©ennes ». 5 C’est un argument supplĂ©mentaire pour attribuer le
nom d’Ermesinde au premier lycĂ©e public autonome du Luxembourg. Il ne faut pas oublier en
effet que le statut de lycĂ©epilote qui lui fut d’abord attribuĂ© se rapportait Ă  la responsabilitĂ©
conférée à sa premiÚre communauté de se donner un cadre conceptuel et une réglementation
propres. Sa crĂ©ation politique fut facilitĂ©e Ă  l’époque par les Ă©valuations comparatives
internationales menĂ©es aprĂšs l’an 2000 qui plaçaient rĂ©guliĂšrement en tĂȘte les nations dont les
Ă©coles jouissaient d’une grande autonomie. Ainsi le « Neie LycĂ©e » fut créé dĂšs l’abord dans
un esprit « local », avec cette exigence fortement participative et rassembleuse de mettre en
place des structures autonomes susceptibles de garantir l’évaluation et le dĂ©veloppement
continuels de ses propres principes et moyens. Une grande responsabilité fut ainsi donnée à
une communauté, engageant celleci à persister dans la réflexion, la discussion et la
nĂ©gociation. L’existence et le fonctionnement mĂȘmes du lycĂ©e reposent sur des relations de
confiance et de correspondance entre un ministĂšre et une communautĂ© d’une part, entre cette
communautĂ© et ses partenaires de tous les jours, ses Ă©lĂšves et ses parents, d’autre part.
AprĂšs la RĂ©volution française, Ermesinde aurait pu ĂȘtre dĂ©savouĂ©e au mĂȘme titre que tous ces
souverains de jadis qu’on tenait alors en mĂ©sestime. Au lieu de cela, Ermesinde fut Ă©levĂ©e au
rang d’une femme politique d’exception, Ă  l’initiative notamment de GaspardThĂ©odore
Ignace de la Fontaine, gouverneur du grandduché de Luxembourg de 1841 à 1848, pÚre de
l’écrivain national Edmond de la Fontaine, dit Dicks. Dans les publications de la SociĂ©tĂ©
archéologique, fondée en 1845, le gouverneur attribua à Ermesinde des tendances libérales,
4 Pour en finir avec le Moyen Âge, Editions du Seuil, 1979, p. 56
5 « Ce ne sont que les légistes toutpuissants à la cour de Philippe le Bel qui allaient faire du suzerain un
souverain. » (ibid. p. 66) Voir aussi Raymond Delatouche, Le Moyen Âge : Pourquoi faire ?, Editions Stock,
1986, p. 100 : « Le régime féodal opÚre la décentralisation maxima. »
 
5
sous prĂ©texte qu’elle eĂ»t donnĂ© la libertĂ© Ă  la ville de Luxembourg. Il alla jusqu’à en faire la
fondatrice lointaine de la bourgeoisie libĂ©rale si prĂŽnĂ©e en ce milieu du 19 e siĂšcle. C’était
naturellement, une fois de plus, sortir les choses de leur contexte. La libertas sanctionnée par
les chartes concĂ©dĂ©es aux villes d’Echternach et de Luxembourg en 1236 et 1244 n’avait pas
prioritairement de vocation individuelle. 6 Ce fut un privilĂšge (privilegium libertatis) qui
s’inscrivait dans la logique mutuelle dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©e. Le service de la comtesse consistait Ă 
garantir la sĂ©curitĂ© (pax et quies) et Ă  protĂ©ger contre l’arbitraire, moyennant codification des
obligations financiĂšres. 7 A part de payer leur comtesse, les bourgeois (burgenses, par
opposition Ă  cives) se chargeaient de diverses tĂąches administratives et juridictionnelles, dont
l’effet principal fut de les constituer en communautĂ©. 8
Un cas singulier dans l’histoire occidentale : l’autodĂ©veloppement
Il est de plus en plus nécessaire que nos jeunes apprennent à considérer les acquis de leur
temps avec recul et circonspection, y compris les maniĂšres et mĂ©thodes actuelles d’occuper et
d’exploiter le territoire. La concentration urbaine, la dĂ©sertification des campagnes, mais aussi
l’anonymisation et la dĂ©shumanisation des relations sociales, l’éclatement des cellules locales
et familiales, sont autant de thématiques préoccupantes dont il est urgent que les jeunes
s’occupent de maniùre avertie. Or comment pourraientils le faire sans connaütre d’autres
modĂšles leur donnant Ă  rĂ©flĂ©chir ? La pĂ©riode s’étendant du Xe Ă  la fin du XIIIe siĂšcle est une
fenĂȘtre dans l’histoire occidentale dont la singularitĂ© extrĂȘme fut mise en Ă©vidence en 1971
par l’économiste italoamĂ©ricain Roberto Sabbatino Lopez. Dans son fameux ouvrage The
Commercial Revolution of the Middle Ages, il proclame : « Là, pour la premiÚre fois dans
l’histoire, une sociĂ©tĂ© sousdĂ©veloppĂ©e rĂ©ussit Ă  se dĂ©velopper ellemĂȘme, principalement par
ses propres moyens. » 9 L’argument majeur avancĂ© par Lopez est que, contrairement par
6 Henri Trauffler, dans Ermesinde et l’affranchissement de la ville de Luxembourg, Publications du CLUDEM,
Luxembourg, 1994, p. 233 : « La libertas qualifie une qualité accordée à une collectivité, moins une liberté
individuelle. »
7 D’aprĂšs Henri Trauffler, ces derniĂšres furent d’ailleurs fortement augmentĂ©es Ă  l’occasion. (ibid. p. 230)
Michel Pauly (dans une Ă©mission radiophonique sur 100,7 du 29 mars 1994) suppose que d’un autre cĂŽtĂ© des
obligations en nature ont Ă©tĂ© abrogĂ©es au mĂȘme moment, sans qu’on sache dire lesquelles.
8 Voir Michel Pauly, Der Freiheitsbrief der Stadt Luxemburg : herrschaftlicher Machtanspruch oder bĂŒrgerliches
Emanzipationsstreben ?, dans Ermesinde et l’affranchissement de la ville de Luxembourg, Publications du
CLUDEM, Luxembourg, 1994, p. 235253
9 CitĂ© par Raymond Delatouche dans Le Moyen Âge Pourquoi faire ?, p. 6768
 
6
exemple Ă  l’Egypte ancienne, Ă  l’AthĂšnes de PĂ©riclĂšs et Ă  l’Empire romain, « le
dĂ©veloppement mĂ©diĂ©val ne doit Ă  peu prĂšs rien aux conquĂȘtes : c’est un auto
dĂ©veloppement ; il s’est opĂ©rĂ© par les propres moyens de la sociĂ©tĂ© agissant par ellemĂȘme et
sur ellemĂȘme. » Une des raisons pour lesquelles l’esclavage, qui avait disparu
progressivement Ă  partir du IVe siĂšcle et qui allait renaĂźtre massivement Ă  la Renaissance, 10
n’était plus nĂ©cessaire avait Ă©tĂ© la prolifĂ©ration des monastĂšres : « L’initiative monastique est
une rĂ©volution sociale : l’esclavage n’est plus nĂ©cessaire au dĂ©veloppement. » 11 Il faut saisir
en effet que le travail physique, autrefois tare de l’esclave, Ă©tait devenu une part essentielle de
la vie des moines, rĂ©vĂ©rĂ©s par tout le monde, alors que ces mĂȘmes moines Ă©taient des gens
savants, des lettrés. Ainsi réunissaientils en quelque sorte deux mondes et deux populations
qui jusquelĂ  Ă©taient fonciĂšrement sĂ©parĂ©s : le monde rural, l’agriculture, les paysans et le
monde culturel, l’élite, les nobles 12 . C’est un exemple important de cohĂ©sion sociale : le
moine est lettré mais travaille aussi la terre, comme un paysan, sans perdre pour autant son
statut social. Au contraire, il en est grandi.
Le travail manuel et en particulier agricole s’en trouvait incroyablement mis en valeur. 13 Avec
le succĂšs que nous connaissons et dont nous sommes aujourd’hui trĂšs Ă©loignĂ©s : « Le Moyen
Âge a laissĂ© la terre incomparablement plus fĂ©conde qu’il ne l’avait reçue. » 14 Mais aussi et
surtout, alors que nous sommes aujourd’hui en train d’épuiser tous nos sols : « La mĂ©thode
traditionnelle, variable selon les lieux, n’était pas consommatrice, mais productrice de capital
foncier. » 15
Autant de diffĂ©rences avec l’Europe moderne dont il est crucial et urgent que les jeunes
prennent conscience. Dans notre monde occidental qui n’offrira bientît plus que le secteur
tertiaire comme débouché, comment justifier la délocalisation totale du secteur primaire ? Est
ce vrai que le capitalisme est une crĂ©ation de l’inĂ©galitĂ© du monde, comme le prĂ©tend le
10 Pour la diffĂ©rence entre le servus antique, l’esclave, et le servus mĂ©diĂ©val, le serf, voir RĂ©gine Pernoud, Pour
en finir avec le Moyen Âge, Seuil, p. 74. Pour l’esclavage à l’antique à la Renaissance, voir Jacques Heers, Le
Moyen Âge : une imposture, Perrin, p. 163 et Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, p. 97
11 Le Moyen Âge Pourquoi faire ?, p. 113
12 Le recrutement de l’ordre bĂ©nĂ©dictin Ă©tait noble.
13 Voir Le Moyen Âge Pourquoi faire ?, p. 199 : « Les Ă©tablissements cisterciens deviennent des fermes
modÚles. »
14 ibid. p. 70 ; « en passant d’une superficie sauvage ou abandonnĂ©e Ă  deux tiers Ă  un territoire cultivĂ© dans sa
totalité cultivable, jardiné pour une bonne part » (p. 117)
15 ibid. p. 86
 
7
sociologue américain Immanuel Wallerstein ? 16 Le monde rural estil vraiment le « grand
oubliĂ© de notre temps » ? 17 Quel est l’avenir de l’artisanat et des mĂ©tiers manuels ? VoilĂ  des
questions qui certes font l’actualitĂ© et apparaissent Ă  prĂ©sent dans les programmes scolaires,
mais comment faire en sorte que les jeunes s’en saisissent et s’engagent Ă  les rĂ©soudre, s’ils ne
songent qu’à consommer plutît qu’à mettre la main à la pñte ? Ne fautil pas pour cela leur
donner l’occasion d’expĂ©rimenter un monde restreint mais complet comme peut en fournir
l’école, Ă  condition de la doter de structures consĂ©quentes ? Ainsi le lycĂ©epilote est composĂ©
de différentes cellules, maisons et entreprises, dont chacune est vouée à exploiter un domaine
donnĂ© jusqu’à un niveau Ă©levĂ© de dĂ©veloppement et de production. Chacun de ces domaines 18
est exploré dans ses dimensions techniques, artisanales, scientifiques, culturelles, historiques,
économiques, morales et sociales.
Il n’est plus contestĂ© que l’ñge fĂ©odal, l’« heureux temps de SaintLouis », s’étendant de la
seconde moitiĂ© du Xe siĂšcle Ă  la fin du XIIIe, fut un « Ăąge de grande prospĂ©ritĂ© et d’un
développement incontestable », 19 marqué par une grande cohésion sociale et une répartition
dĂ©mographique qu’on n’a plus vu aussi Ă©quilibrĂ©e depuis. 20 On connaĂźt l’expression du moine
Raoul Glaber en 1030 : « on dirait que le monde secoue ses haillons pour se parer d’un blanc
manteau d’églises ». 21 Se forma en effet un rĂ©seau villageois qui ne se modifia plus guĂšre
jusqu’à la rĂ©volution industrielle du XIXe siĂšcle et qui persiste grosso modo encore
aujourd’hui. Le systĂšme fĂ©odal se distingua par un double devoir de protection et de service
entre seigneurs et paysans, entre suzerains et vassaux, soit entre hommes liés par un serment
de fidélité. La formation de cellules locales et familiales fortes en fut la conséquence
naturelle : « l’homme, pendant tout le Moyen Âge, ne sait vivre seul ».22 C’est encore une
16 citĂ© par Fernand Braudel dans La dynamique du capitalisme, Flammarion, p. 97 : « (…) il lui faut pour se
dĂ©velopper, les connivences de l’économie internationale. Il est le fils de l’organisation autoritaire d’un espace
de toute Ă©vidence dĂ©mesurĂ©. Il n’aurait pas poussĂ© aussi dru dans un espace Ă©conomique bornĂ©. Il n’aurait peut
ĂȘtre pas poussĂ© du tout sans le recours au travail ancillaire d’autrui. »
17 RĂ©gine Pernoud, dans Le Moyen Âge Pourquoi faire, p. 23
18 cuisine, film, livre, nature et terroir, patrimoine, spectacle.
19 RĂ©gine Pernoud ̧ Le Moyen Âge Pourquoi faire ? », p. 55 ; lire aussi p. 12 : « Les quatre siĂšcles qui vont du Xe
au dĂ©but du XIVe offrent un exemple convaincant de dĂ©veloppement ; et cela, en exploitant ce qu’on peut
appeler les moyens du bord, sans recourir au pillage de biens Ă©trangers, Ă  la conquĂȘte, Ă  l’asservissement des
autres, uniquement par une complĂšte et mĂ©thodique mise en Ɠuvre des ressources locales. »
20 Voir Raymond Delatouche, Le Moyen Âge Pourquoi faire ?, Stock, p. 91
21 lat. « candidam vestem ». Candidus en latin signifie blanc éclatant, mais aussi radieux, heureux, favorable,
clair, franc, loyal (Gaffiot).
22 Claude Gauvard, Le Moyen Âge, Editions de la Martiniùre, p. 10
 
8
diffĂ©rence de taille avec le monde d’aujourd’hui oĂč l’indĂ©pendance fait parfois figure de
valeur suprĂȘme. Le lycĂ©epilote renonce Ă  l’évaluation notĂ©e, purement comparative, parce
qu’elle risque d’éloigner de la coopĂ©ration, de la participation et de l’engagement, donc
encore une fois de la cohésion sociale.
L’histoire dĂ©formĂ©e
Pourtant l’image qu’on voulut donner du MoyenÂge depuis la Renaissance fut rarement
glorieuse et c’est aussi une façon de rĂ©habiliter une Ă©poque souvent traitĂ©e avec dĂ©dain que
d’y associer le nom d’une institution consacrĂ©e Ă  l’éducation. Nombreuses et persistantes sont
les dĂ©formations abusives et mensongĂšres qu’on fait subir encore aujourd’hui Ă  ce temps de
mille ans obstinément présenté comme un bloc homogÚne, invariablement sombre, miséreux
et archaïque. Malgré les recherches historiques nombreuses et affranchies de ces derniÚres
dĂ©cennies, il arrive encore que des rĂ©fĂ©rences sĂ©rieuses au MoyenÂge dĂ©clenchent des
rĂ©actions d’incomprĂ©hension, d’incrĂ©dulitĂ© ou d’embarras. D’un autre cĂŽtĂ©, les expositions
ayant trait au MoyenÂge attirent les foules partout en Europe et dans le monde entier depuis
des années, les cathédrales, les villages médiévaux, les abbayes, les chùteaux forts accusent un
engouement croissant, leur classement libĂšre des sommes inouĂŻes pour leur conservation, au
grand profit des mĂ©tiers d’art et de la recherche. Il vaut donc la peine de « dĂ©passer le regain
d’intĂ©rĂȘt touristique et folklorique des ces derniĂšres dĂ©cennies » (Jacques Heers) et de
reconsidĂ©rer sĂ©rieusement l’époque qui fut Ă  l’origine de notre croissance millĂ©naire,
croissance qui se poursuit encore et toujours mais qui a malheureusement et dangereusement
perdu beaucoup de l’équilibre de ses dĂ©buts.
Afin de mieux comprendre la singularitĂ© du temps d’Ermesinde, il convient de relever
quelques faits historiques, tout en se débarrassant des confusions les plus grossiÚres.
Du cĂŽtĂ© du Luxembourg, la fenĂȘtre historique en question s’inscrit Ă  peu prĂšs entre la
fondation de Luxembourg par Sigefroid en 963 et la fin du rùgne d’Ermesinde en 1247. Pour
ce qui est de la France, cette mĂȘme pĂ©riode correspond aux CapĂ©tiens directs, de Hugues
Capet, Ă©lu rois des Francs en 987, jusqu’à Louis IX, SaintLouis, dont le long rĂšgne se
termina en 1270. En ce qui concerne l’Empire, son dĂ©but peut ĂȘtre situĂ© en 962, annĂ©e du
sacre d’Othon Ier le Grand, vĂ©ritable commencement de l’histoire du nouvel empire
d’Occident, 23 et sa fin en 1250, annĂ©e de la mort de FrĂ©dĂ©ric II, qui marqua la fin du pouvoir
23 Voir Les dynasties d’Europe, Bordas, p. 223
 
9
impĂ©rial effectif en Allemagne et en Italie. 24 Les figures marquantes de l’époque d’Ermesinde
furent PhilippeAuguste (au pouvoir de 1180 à 1223) et SaintLouis (de 1226 à 1270) du cÎté
français, FrĂ©dĂ©ric Ier Barberousse et FrĂ©dĂ©ric II du cĂŽtĂ© de l’Empire germanique.
Cette époque a été remarquablement épargnée par nombre de ces fléaux attribués hùtivement
aux « temps mĂ©diĂ©vaux ». L’essor dĂ©mographique y a Ă©tĂ© fulgurant : la population de nos
contrĂ©es a triplĂ© entre les XIe et XIIIe siĂšcles jusqu’à un niveau qui ne sera plus atteint avant
le XVIIIe siÚcle. Ce fut, selon Raymond Delatouche, 25 « une réaction de santé, de vouloir
vivre, passĂ©es (…) la dĂ©composition anarchique de l’Etat carolingien » ainsi que les invasions
normandes, hongrois et sarrasines. Oui c’était l’époque des croisades, non ce n’était pas
encore les famines, d’entre 1315 et 1317, ni la peste noire, de 1348, ni la Guerre de Cent Ans,
de 1337 Ă  1453. C’était avant le roi de fer, souverain et centralisateur, Philippe le Bel,
couronnĂ©e en 1286. C’était aussi avant les procĂšs de sorcellerie du XIVe siĂšcle et bien avant
la rĂ©apparition de l’esclavage au XVIe et les guerres de religion, de 1562 Ă  1598. Non, le
procĂšs de GalilĂ©e n’eut pas lieu au MoyenÂge, mais au XVIIe siĂšcle, Ă  l’époque classique,
au temps de Descartes, cent ans aprùs la naissance de Montaigne. Non, les Ɠuvres antiques ne
furent pas du tout seulement redécouvertes à la Renaissance et les savants arabes ne furent pas
les seuls à les traduire. Les auteurs grecs et latins constituaient, depuis la dénommée
Renaissance carolingienne, à cÎté de la chanson de geste et de la « matiÚre de Bretagne », la
« matiĂšre antique », source d’inspiration majeure des auteurs du Xe au XIIe siĂšcle. Les
Romans de ThĂšbes et de Troie se rĂ©pandirent dans toute l’Europe au XIIe, l’EnĂ©ide ne cessa
jamais d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©e et connut elle aussi maintes traductions et rĂ©interprĂ©tations. Les VƓux du
Paon, roman en vers de Jacques de Longuyon, 26 firent apparaĂźtre les Neuf Preux, dont
faisaient partie les trois « paĂŻens de l’AntiquitĂ© » Hector de Troie, Alexandre le Grand et Jules
CĂ©sar. Les Ă©popĂ©es grecques et en particulier la lĂ©gende d’Alexandre le Grand n’avaient
jamais disparu de la littérature médiévale. 27 On pourrait continuer encore longuement la liste
de toutes les omissions et déformations volontairement installées dans la mémoire collective
depuis la Renaissance. Mais comment et pourquoi tous ces efforts d’obscurcissement du
Moyen Âge, de Rabelais jusqu’à aujourd’hui ? Jacques Heers avance une explication simple
24 ibid. p. 225
25 Le MoyenÂge Pourquoi faire ?, p. 71
26 Remarquons au passage que Longuyon est une ville situĂ©e sur le chemin menant d’Arlon Ă  Marville, oĂč
Ermesinde eut son chĂąteau, quand elle fut mariĂ© Ă  ThiĂ©baut de Bar, et oĂč elle habita souvent, sa vie durant.
27 Voir par exemple La littĂ©rature française – Les grands mouvements littĂ©raires du Moyen Âge, Librio, 2009 et,
plus particuliĂšrement, le chapitre Le Moyen Âge : l’oubli de l’AntiquitĂ© ? dans Le Moyen Âge, une imposture, de
Jacques Heers, aux éditions Perrin.
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