Il y a des mots vĂ©nĂ©rables quâon devrait sâinterdire dâutiliser Ă tout escient. Cela fait des annĂ©es que le terme de compĂ©tence est employĂ© Ă toutes les sauces dans lâĂ©ducation. Les programmes ne sont plus faits de contenus, mais de compĂ©tences. Les objectifs dâapprentissage sont dĂ©composĂ©s en micro-Ă©tapes sâĂ©talant sur des annĂ©es et des annĂ©es et dĂ©taillĂ©s en un flot de « compĂ©tences » remplissant des centaines de pages et de listes dans les plans dâĂ©tudes. Chacune de ces innombrables compĂ©tences fait lâobjet dâune description officielle, ainsi que dâun enseignement et dâune Ă©valuation explicites, apparaissant dans les manuels, dans les devoirs et sur les bulletins. On se demande comment les enseignants et les parents arrivent encore Ă sâen sortir devant cette inflation de descripteurs et dâindicateurs abstraits.
Il est curieux de constater que toute cette industrie de compĂ©tences se situe plutĂŽt aux antipodes de la signification originelle du terme. En principe, une compĂ©tence dĂ©signe en effet quelque chose de beaucoup plus grand, une autoritĂ©, une qualitĂ©, un pouvoir global rĂ©sultant dâune somme de connaissances et dâexpĂ©riences et confĂ©rant Ă son dĂ©tenteur une expertise et un statut dignes de confiance. Il sây ajoute que la compĂ©tence dâune personne se rapporte gĂ©nĂ©ralement Ă un domaine particulier, Ă savoir le domaine quâelle a visĂ© et cherchĂ© Ă atteindre (lat. petere), au mĂȘme titre que les autres reprĂ©sentants de ce domaine (lat. com-petere).
La compĂ©tence et son acquisition ont finalement une nature organique. En Ă©voluant longuement dans une spĂ©cialitĂ©, on finit par acquĂ©rir le savoir, la culture, la souverainetĂ© qui en distingue les dignes reprĂ©sentants. La compĂ©tence relĂšve de la pratique et de lâimplicite. On lâacquiert aprĂšs avoir Ă©voluĂ© longuement dans une spĂ©cialitĂ© et dans un milieu.
Une compĂ©tence ne me semble guĂšre pouvoir ĂȘtre atteinte de maniĂšre systĂ©matique. Câest plutĂŽt Ă force de cĂŽtoyer une matiĂšre et de frĂ©quenter un milieu quâon apprend implicitement les ficelles du mĂ©tier et quâon est finalement capable, Ă lâinstar du pianiste ou de lâorganiste, dâinterprĂ©ter et dâimproviser.
On peut sâĂ©tonner comment cette manie de dĂ©composer les savoirs en des compĂ©tences qui ne mĂ©ritent pas le nom a pu se dĂ©velopper. Le lycĂ©e Ermesinde entend rĂ©sister quelque peu Ă cette vague, en se portant, paradoxalement, dĂ©fenseur de la compĂ©tence dans le sens profond du terme, afin que la qualitĂ© ne sombre pas dans la quantitĂ©.